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Après un rebond du trafic aérien post Covid, les compagnies aériennes entrent dans une phase de normalisation. La croissance des revenus du secteur est ainsi attendue à 1 %, contre 6 % entre 2023 et 2024, d’après l’International Air Transport Association (Iata). En parallèle, les commandes de constructeurs atteignaient un niveau record de 16 000 avions fin juin 2025. De quoi assurer aux fabricants une visibilité des carnets de commande sur les 14 prochaines années. « L’aéronautique commerciale vise une augmentation de la production de 50 à 100 % mais la chaîne de fournisseurs a été très affaiblie pendant le Covid », présente Pascal Fabre, co-leader EMEA, associé Aérospatial, défense et aérien et managing director chez AlixPartners. « Il y a une montée en cadence mais pas aussi significative qu’elle devrait l’être. Les commandes sont passées, mais sont décalées », témoignait un dirigeant d’une entreprise de sous-traitance de la filière au Salon du Bourget. Un phénomène lié aux difficultés d’approvisionnement et à la gestion des stocks. La dualité civile-militaire du secteur de l’aviation offre néanmoins des perspectives plus larges avec la hausse des budgets des armées à l’échelle planétaire. « La dynamique du secteur aéronautique et défense offre des perspectives de croissance particulièrement solides, notamment grâce à la montée en cadence prévue. Face à ces fondamentaux robustes, de nombreux investisseurs ont un intérêt accru pour le secteur », souligne Florian Touchard, associé chez Alantra.
Le retour des fonds d’investissement dans le secteur
Si la défense a fait émerger des véhicules dédiés, la filière aéronautique civile, non-contrainte par des critères d’exclusion, attire les fonds généralistes aux côtés du sectoriel Ace Aéro Partners lancé en 2020 et aujourd’hui filiale de Tikehau IM. Rien que ces dernières semaines, le fabricant de pièces de mécanique de précision Lhers a ouvert son capital à Bpifrance, l’expert des systèmes d’interconnexions du câblage électrique Do It a fait entrer Initiative & Finance pour mener un build-up structurant en l’acquisition de PMVE, le fabricant de sièges ultralégers Expliseat a reçu le soutien d’un consortium de fonds d’investissement et le chimiste Socomore compte deux nouveaux sponsors, Three Hills Capital Partners et SGCP, aux côtés des historiques Bpifrance et Crédit Mutuel Equity. Au total, la base de données CFNEWS dénombre neuf opérations menées par des fonds sur des entreprises matures de la filière depuis le depuis de l’année contre seulement quatre, hors tech et venture capital, en 2024. Protec a mené un OBO avec Maison Partners, Airplane a ouvert son capital à Ciclad et BNP Paribas Développement, et Visco a signé un LBO bis avec Latour Capital. « Nous avons vécu trois années de ramp-up inégalé dans l’aéronautique civile et aujourd’hui le facteur limitant c’est la supply chain aéronautique », constate Thierry Quillet, délégué général adjoint du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas). « La filière aéro était dans une période de besoin de financement de recrutements, de stock, de matières premières. Nous entrons dans une phase de financement capacitaire pour faire face aux besoins 2026-2028 pour continuer le ramp-up et de financement d’innovation et de compétitivité, qui a baissé de 10 à 15 points depuis le Covid pour certains acteurs. »
Une filière globale
Si les motoristes ont vu leur activité reprendre dès la remontée du trafic, notamment grâce aux services de maintenance, représentant plus de la moitié de leurs revenus et très profitables, tous les segments de la filière ne sont pas logés à la même enseigne. Les intérieurs cabine sont partagés entre livrer aux constructeurs ou aux compagnies aériennes qui rénovent leur flotte et les équipements de première monte pour les avions neufs, dépendante de la montée en cadence et aux coûts fixes élevés, souffre davantage. « 90 % des bénéfices de la chaîne de valeur sont captés par les motoristes et les loueurs, qui bénéficient du manque d’avions. Le sujet numéro un dans l’aéronautique commercial, c’est l’opérationnel, comment augmenter la production, que les fournisseurs livrent à temps, former les gens pour avoir les compétences et désendetter », indique Pascal Fabre. En 2025, les livraisons d’Airbus et Boeing devraient retrouver les niveaux pré-Covid, d’après l’étude d’AlixPartners, dont les prévisions s’établissent entre 1 220 et 1 405 avions, après une baisse de 11 % en 2024. Les pronostics affichent une croissance annuelle de 10 % à 14 % sur les cinq prochaines années. Pour vendre dans certains pays, une partie de la production est réalisée localement comme en Inde par exemple. Dans ce contexte, la filière amont cherche à s’implanter au plus près des grands donneurs d’ordre, générant des opérations cross-border. Le chaudronnier Lauak et le groupe d’ingénierie mécanique AD Industrie sont ainsi récemment passés sous contrôle indien, Brown Europe est repassé sous pavillon américain, Aéro Négoce International a été repris par un suisse et GIT par un allemand.
Une consolidation encore timide
De plus en plus internationaux, les équipementiers cherchent à réduire le nombre de sous-traitants, et pour accompagner l’augmentation des cadences de production, le secteur aéronautique, et par extension de ses applications défense, tend à se consolider. « Le phénomène de consolidation est également favorisé par les enjeux de transmission capitalistique des PME/ETI et attire également de nouveaux acteurs industriels, notamment issus de l’automobile, qui voient dans l’aéronautique une opportunité stratégique de diversification rapide et de création de valeur durable », explique Florian Touchard. Les acquisitions dans le secteur accusent néanmoins un recul en France, avec 14 opérations de build-up ou de M&A corporate en 2024 d’après la base de données CFNEWS. Au premier semestre 2025, le marché du M&A poursuit son recul avec six acquisitions de cibles françaises dont deux build-up sur les sept premiers mois de l’année, contre dix sur la même période en 2025, d’après les bases de données CFNEWS. Reste que les opérations nouées avec des fonds d’investissement avant le Covid devront bien se déboucler. Parmi elles, Sabena Technics, sous LBO avec Sagard, Bpifrance et Towerbrook depuis 2019, Revima avec Ardian, ou encore la participation de Tikehau IM dans Nexteam.
2024 l’année pivot ?
À l’échelle globale, le nombre de transactions est en baisse depuis le pic de 2019 et affiche un repli de 17 % en 2024, indique l’étude sectorielle d’AlixPartners. Le M&A affiche néanmoins une hausse de 50 % en valeur, tirée par le retour des gros deals dont le rachat de Spirit AeroSystems par Boeing, mais encore très loin des records pré-Covid. Les multiples de valorisation ont augmenté de 4 tours d’Ebitda en un an pour s’établir à 11,5 en 2024, d’après l’étude d’AlixPartners. « La hausse, à la fois des montants de transactions et des valorisations en 2024 montre que la reprise du M&A est là, grâce à une lisibilité retrouvée sur les perspectives de l’aéronautique et de la défense, avec une hausse des budgets sous-jacents de long terme, au moins pour un cycle d’investissement », analyse Nicolas Beaugrand, co-leader EMEA, associé Aérospatial, Défense et Aérien et MD chez AlixPartners. « Sur les dix plus grosses transactions, la moitié comptait des fonds de private equity à l’achat ou à la vente avant le Covid. En 2024, c’est seulement trois du top 10, représentatif puisqu’il cumule 45 Md$ des 70 Md$ en valeur. » Et alors que le volume était historiquement équilibré entre les Etats-Unis et l’Europe, 80 % des plus grosses transactions ont été réalisées outre-Atlantique. L’exemption du secteur aéronautique et de la défense des droits de douane fixés à 15 % par l'administration américaine – sans pour autant assurer toute la supply chain selon les pays et secteurs d'activités principaux des fournisseurs – pourrait lever une voile d’incertitude sur cet aspects pour relancer l’activité M&A.